Un dragon dans les rues de Troyes
La Chair-salée (ou cocatrix) est une figuration de dragon portée en procession par les moines de Saint-Loup de Troyes dont la seule sculpture connue, en cuivre, est utilisée sous l’abbatiat de Nicolas Forjot (1487-1514).
Sa symbolique connait différentes interprétations liées à la légende de l’évêque saint Loup de Troyes. L’une fait référence à la lutte menée par le saint contre l’hérésie lors d’une campagne d’évangélisation en Angleterre. Le dragon, symbole du Mal et bête de l’Apocalypse, relève d’un riche répertoire iconographique et hagiographique. Dès lors, il n’est pas étonnant qu’une autre interprétation, plus tardive mais en lien avec la première, y ait vu la représentation d’Attila, dont l’armée avait été détournée de la cité épiscopale par le saint en 451. C’est peut-être le souvenir polysémique de cette victoire contre le Mal qui est célébrée à Troyes lors de la fête liturgique des Rogations qui prend place les trois jours précédant l’Ascension et pendant lesquels les fidèles processionnent pour demander la protection divine sur les récoltes. Le dragon y est porté le premier jour déguisé en fiancée, le deuxième en mariée et le dernier jour sous la forme d’une dépouille.
Le document présenté ici est un arrêté prononcé le 25 avril 1728 par l’évêque de Troyes Jacques-Bénigne Bossuet, neveu éponyme du célèbre évêque de Meaux, dans les registres de l’évêché. Ces registres, tenus par les prélats eux-mêmes, consignent les évènements et ordonnances de leur diocèse. L’évêque justifie cette interdiction, à la fois par la distraction des fidèles lors des processions et par les troubles survenus lors des célébrations de l’année précédente. Sur le parcours, la procession fait halte à Saint-Pantaléon, ce que réfute le prêtre de cette église, Pierre François, figure troyenne du jansénisme. Bossuet, réputé rigoriste et opposé aux superstitions populaires, prônant une doctrine religieuse épurée, finit par étendre l’interdiction aux autres processions.
Hugo Martin
Mai 2019
Carte d’identité
Cote : Arch. dep. Aube, G 62, folio 17r
Datation : 25 avril 1728
Description : Ordonnance de l’évêque de Troyes Jacques-Bénigne Bossuet (1716-1742) prononçant l’interdiction définitive à l’abbaye de Saint-Loup de porter la Chair Salée, ou figure de dragon, lors des processions des Rogations
Support : Papier, registre d’évêché
Bibliographie :
LALORE (Charles), « Le Dragon (vulgairement dit Chair-Salée) de Saint-Loup, évêque de Troyes, Étude iconographique », dans Société académique du département de l’Aube (dir.), Annuaire administratif, statistique et commercial du département de l’Aube pour 1877, 51ème édition, Troyes, 1877, p. 142-168. 2 PL 40
ALANIECE (Valérie), « 1728 : la Chair Salée bannie de Troyes », dans Libération Champagne, n°22 409, 28 mars 2010, p. XIV. 1241 PL 576