Des copistes sous influence à Bar-sur-Aube ?

Le fonds d’archives du chapitre collégial de Saint-Maclou de Bar-sur-Aube, conservé aux Archives départementales de l’Aube au sein de la sous-série 7G, est en cours de reclassement et reconditionnement.

Ce chapitre est fondé en 1160, par le comte de Champagne. Bar-sur-Aube est un centre économique important : la ville fait partie du réseau des foires de Champagne, dès le milieu du XIIe siècle[1] .

Depuis Henri Le Libéral, les liens entre le comté de Champagne et les Capétiens se resserrent ; alliances, liens juridiques de vassalité aboutissent à la réunion du comté à la Couronne, en 1285, avec le mariage de Philippe de France et Jeanne de Navarre, et effectif en 1361.

La chancellerie royale a certainement exercé une influence sur les « bureaux d’écriture » du comté nouvellement rattaché avec, notamment, les mesures réglementaires royales relatives à l'authenticité des actes, dont l’ordonnance de 1281. L'évolution graphique constatée au sein de la chancellerie royale entre le XIIIe siècle et le XVe siècle[2] rencontre un écho certain à Bar-sur-Aube, auprès des clercs, copistes du chapitre Saint-Maclou ou travaillant pour des ateliers d’écriture au service des bailliages ou prévôtés de Chaumont ou de Bar-sur-Aube. De nombreux actes rédigés font alors l'objet de décorations dans la partie gauche des parchemins.

Quelques actes du XIIIe au XIVe siècle[3] : Grotesques et caricatures

Les grotesques –« faces humaines réduites au minimum » mais expressives- sont présents dans des initiales grossies en début d'acte.

7 G 252 : acte de février 1296, donné par Pierre, garde des Marches de Bassigny et du bailliage de Chaumont, assisté de Jean Aymer, bourgeois de Bar-sur-Aube, et Thierri Lecrivain, clercs jurés établis à Bar, attestant de la possession d’une maison par un chanoine de Saint- Maclou.

7 G 252
7 G 252

Décor : Le copiste orne la lettre initiale A. Deux grotesques, s’adossent sur l'une des barres d'appui du A. Les portraits, de profil, portent la tonsure monastique des moines ; ils sont expressifs, les yeux et les sourcils sont marqués, la forme de la bouche, orientée vers le bas, en font des visages peu amènes. L’une des têtes est surmontée d'un griffon.

L'intérieur de la majuscule est décoré de motifs géométriques.

A noter, un « air de famille » pour le grotesque de droite avec cette autre lettre du bailliage de Chaumont, datée de 1296 également, dans le fonds d’archives de l’abbaye de Clairvaux (3H2334), signalée par Arnaud Baudin, dans Emblématique et pouvoir en Champagne : les sceaux des comtes de Champagne et de leur entourage (fin XIe-début XIVe siècle), Langres, 2012.

7 G 582 : en 1318, Pierre de Bureville, garde du sceau de la prévôté de Bar-sur-Aube, notifie l’échange de vignes au finage de Proverville ayant eu lieu entre Henri de Vailly, et Jean Menier, chanoine du chapitre Saint-Maclou.

7 G 582
7 G 582

Décor : La majuscule A sert de prétexte pour élaborer une tête de moine ou chanoine tonsuré jouant d’un instrument de musique ; elle prend appui sur l'une des barres du A. L'intérieur de la lettrine est rempli d'un motif géométrique simplifié mais ressemblant au A de l'acte de 1296 (7G252). La barre du A descend le long de la marge et remonte, frôlant le texte, vers le visage du moine.

7 G 407 : Pierre La Maîtresse, garde du sceau de la prévôté de Bar-sur-Aube, assisté de Girard d'Espineaux, prêtre et de Jean de Bouranton (Bousanton), clerc juré établi à Bar, signalent une vente non loin de Bar-sur-Aube, en 1330.

7 G 407
7 G 407

Décor : Le visage, de profil, a des traits sereins et prend appui sur la barre du A. il semble porter un capuchon. La barre d'appui du A se prolonge le long de la marge et permet d'y adosser la barbe du grotesque, et se termine par un motif décoratif. Le carré intérieur du A est rempli du même motif géométrique simplifié des actes précédents.

7 G 467 : bail annoncé par Pierre La Maîtresse, garde du sceau de la prévôté de Bar-sur-Aube, en 1330.

7 G 467
7 G 467

Décor : L'initiale A est de nouveau l'occasion, pour le scribe, d'y apposer un visage, de profil. La barre d'appui du A se prolonge le long de la marge. Le même carré géométrique orné de traits est présent dans la seconde partie intérieure du A.

7 G 37 : Transactions annoncée par le garde du sceau de la prévôté de Bar-sur-Aube, Robert de Courcelles, écuyer, assisté de Jean de Dijon, prêtre et Jean Aubry, de Blavencourt, tabellions jurés, établis à Bar, en 1403.

7 G 37
7 G 37

Décor : Toujours de profil, un visage de moine tonsuré, au nez prononcé et aux yeux marqués, est adossé à la majuscule A. Cette majuscule est dotée d'un poisson le long de la barre d'appui du A, et se prolonge vers le texte et s'en éloigne un peu. Une double barre orne l'intérieur de la lettrine. Le motif stylisé du poisson apparaît au sein de la chancellerie royale aux alentours de 1330; il est adopté à Bar-sur-Aube, à la fin du XIVe siècle.

7 G 373 : Transaction annoncée par le garde du sceau de la prévôté de Bar-sur-Aube, Jean de La Barre, en 1378.

7 G 373
7 G 373

Décor : Le même visage de moine au nez prononcé et aux yeux marqués mais avec un menton barbu s'appuie sur la barre de la majuscule A.

La barre du A descend le long du texte vers la marge et se termine par un motif végétal. L'intérieur de la lettrine est orné d'une double barre. Il y a une similitude entre les deux actes.

Marie-Thérèse Gangarossa

Février 2024

[1]YANTE, Jean-Marie. Le réseau des foires de Champagne (XIIe-XIVe siècles). Émergence, structuration et connexions In : Réseaux politiques et économiques. Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2016.

[2]Ghislain Brunel, Images du pouvoir royal, les chartes décorées des Archives nationales, XIIIe-XVe siècle. Selon Ghislain Brunel, c’est l'art de la caricature qui s'étend d’abord entre la fin du XIIIe siècle jusqu'au début du XIVe siècle ; il est effectivement présent dans le fonds d’archives de Saint-Maclou. Les expressions entre guillemets sont empruntées à Ghislain Brunel.

[3] Les cotes des documents cités sont des cotes provisoires.

Ce « document du mois » est basé sur les articles des auteurs suivants : BAUTIER Robert-Henri, L'exercice de la juridiction gracieuse en Champagne du milieu du XIIIe siècle à la fin du XVe, In Bibliothèque de l'école des chartes. 1958, tome 116. pp. 29-106 ; et Ghislain BRUNEL, Images du pouvoir royal, les chartes décorées des Archives nationales, XIIIe-XVe siècle, Paris : Somogy, éd. d'art : Centre historique des Archives nationales, impr. 2005.

Pour aller plus loin

BAUTIER Robert-Henri, L'exercice de la juridiction gracieuse en Champagne du milieu du XIIIe siècle à la fin du XVe, In Bibliothèque de l'Ecole des chartes. 1958, tome 116. pp. 29-106 ; article consultable en ligne : https://www.persee.fr/doc/bec_0373-6237_1958_num_116_1_449567

BM 1628

BRUNEL, Ghislain : Images du pouvoir royal, les chartes décorées des Archives nationales, XIIIe-XVe siècle,Paris : Somogy, éd. d'art : Centre historique des Archives nationales, impr. 2005 ; ouvrage consultable aux Archives.

YANTE, Jean-Marie. Le réseau des foires de Champagne (XIIe-XIVe siècles). Émergence, structuration et connexions In : Réseaux politiques et économiques. Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2016 ; consultable en ligne : https://doi.org/10.4000/books.cths.2180.

Partager sur